La mode québécoise en crise? Difficultés, défis et solutions

La mode québécoise est sur la corde raide. Si des moyens ne sont pas pris, cette industrie pourrait souffrir de la mondialisation. L’engagement commun des divers acteurs de cette industrie pourrait garantir l’avenir de la mode au Québec.

L’industrie de la mode et du vêtement au Québec est l’une des plus importantes au pays. En 2011, le Québec comptait environ 28 000 emplois, 1845 établissements et ses ventes totalisaient 6,9 milliards de dollars. Malgré tout, la situation n’est pas tout à fait rose.

En 2005, la suppression des contingents d’importation sur les textiles et les vêtements par l’Organisation mondiale du commerce a bouleversé l’industrie québécoise. Les importations en provenance de pays en développement ont donc augmenté.

Le gouvernement québécois a fait sa part pour aider l’industrie. En 2007 et en 2012, le gouvernement a investi de diverses façons dans le domaine de la mode. Il a également réitéré son appui aux événements mode et a créé un groupe de travail sur l’industrie de la mode et du vêtement.

D’autres personnes ont aussi voulu faire bouger les choses. C’est le cas de Anne Lespérance, propriétaire de la boutique Belle et rebelle à Montréal. Au début novembre, elle lance une pétition pour aider l’industrie de la mode québécoise. « Le talent et la créativité ne manquent pas chez nos créateurs et artisans de la mode québécoise. Pourtant, elle peine à se faire valoir auprès du grand public et des médias », peut-on lire dans le Manifeste sur l’industrie de la mode au Québec qui accompagne la pétition.

Capture d’écran 2014-04-23 à 20.47.31La pétition vise un vaste public. On note, entre autres, le gouvernement, les médias et les consommateurs. « La pétition c’est un drapeau rouge », appuie Mme Lespérance. Elle ajoute : « ceux qui doivent le saisir le saisiront ».

Anne, appuyée par une cinquantaine de créateurs, de détaillants et d’acteurs de l’industrie, a créé cette pétition. « C’est un moyen pour attirer l’attention, un moyen gratuit », précise-t-elle. Elle souhaite promouvoir le talent et la diversité des créateurs d’ici qui ne semble pas être à son meilleur. « Depuis 2 ans, c’est un peu plus difficile dans le milieu », confie Mme Lespérance.

Le Manifeste souligne des problèmes dans l’industrie tels que l’arrivée de grandes chaînes de magasins, le phénomène du « fast fashion », le manque d’appui du gouvernement, de visibilité de la part des médias, de relève et de reconnaissance.

D’un autre côté, la journaliste pour le blogue La Passerelle, Marie-Ève Rochon, ne voit pas la chose de la même manière. Bien qu’elle soit d’accord que le « fast fashion » est problématique et qu’il manque de relève en production, les autres points peuvent être vus sous un autre angle.

Le Manifeste souligne qu’un pourcentage du contenu des magazines devrait être consacré aux créateurs d’ici. Pourtant, les designers et marques d’ici sont déjà présents dans les magazines féminins. Il faut aussi respecter la liberté de presse. Marie-Ève Rochon le souligne dans son texte sur le sujet : « Pour servir les artisans, tout média culturel doit idéalement jouir d’une liberté lui permettant d’exprimer son jugement critique. »

Ensuite, il est vrai que le gouvernement provincial québécois accorde encore du financement aux entreprises de mode. Cela n’est pourtant pas la clé au succès des entreprises selon la blogueuse. « Ce dont l’industrie de la mode québécoise a besoin, c’est d’entrepreneurs et d’innovation », affirme Marie-Ève Rochon dans son billet.

On peut aussi lire dans dans le Manifeste : « il y a un manque important de relève dans le milieu. De ce fait, il est grand temps que les écoles et le gouvernement se lancent dans des campagnes de recrutement, en valorisant ces métiers [la main d’oeuvre] ». Cependant, pour Michèle Beaudoin, professeure à École supérieure de mode de Montréal, la relève universitaire est suffisante pour combler les besoins de l’industrie. Elle estime même qu’environ 80 ou 85 % des finissants se trouvent un emploi dans le domaine après leurs études. Ce pourcentage est similaire pour plusieurs programmes universitaires dans d’autres domaines.

École supérieure de mode de Montréal – Photo: Jean Martin – UQÀM

Il n’y a pas besoin d’attirer plus d’étudiants en mode. « Sinon notre taux de placement serait plus faible. On veut que nos étudiants se trouvent un emploi après leurs études », affirme Mme Beaudoin. L’École supérieure de mode de l’UQAM accueil présentement près de 500 étudiants divisés dans trois programmes : design et stylisme de mode (environ 10 % des étudiants), commercialisation de la mode (80 %) et gestion industrielle de la mode (10 %). Michèle Beaudoin rappelle que cela représente assez bien la demande de l’industrie en terme de relève.

En mode mondial

Comme Anne Lespérance et Marie-Ève Rochon, Michèle Beaudoin est d’accord qu’un des problèmes de l’industrie de la mode québécoise est la mondialisation. Avec un nombre croissant de manufactures québécoises déménagées en Chine et l’arrivée de grandes chaînes de magasins, le domaine de la mode vit une « période de réajustements dans l’ensemble du monde », affirme la professeure. Comme elle le mentionne, « la compétition n’est plus locale, mais mondiale ». L’arrivée de boutiques internationales de « fast fashion » comme Zara ou H&M sont de grands concurrents aux créateurs d’ici. Ces boutiques changent fréquemment leurs collections et ont de grands budgets pour le marketing.

Il est difficile pour les boutiques et designers locaux de rivaliser. « Faire parler de soi, soit ça coûte très cher, soit ça demande extrêmement d’énergie et de temps pour organiser un événement », atteste Anne Lespérance. Elle ajoute que : « Le temps qu’on met sur un évènement, c’est du temps qu’on ne passe pas sur sa collection ».

Cependant, la mondialisation permet d’offrir des postes en gestion de commerce de détail, en logistique ou comme acheteurs à de jeunes diplômés. Comme le souligne Mme Beaudoin : « l’industrie à besoin d’une relève compétente ».

La jeune designer Mélissa Nepton est un bon exemple d’une créatrice qui a réussi malgré les hauts et les bas de l’industrie. Sa collaboration avec Target en est la preuve.

En février 2013, Mélissa Nepton a été la récipiendaire de la Bourse Target pour les créateurs émergents. Elle est choisie parmi cinq finalistes et reçoit une bourse de 25 000 $ en plus de créer une collection de vêtements offerte en exclusivité dans les magasins Target du Québec.

Son parcours commence par une passion pour la mode et des études collégiales en mode au Cégep Marie-Victorin. Elle entre ensuite à l’École supérieure de mode de Montréal. Elle termine ses études à l’École Nationale supérieure des Arts Décoratifs de Paris.

Elle reviendra au Québec et obtiendra un poste comme designer-acheteuse au Groupe Marie-Claire. En 2009, elle participera à l’émission de téléréalité La Collection. Cette aventure la mènera à créer sa collection éponyme et à la présenter lors de la Semaine de mode de Montréal la même année. Elle présentera de nouvelles collections chaque saison depuis. Avec des « vêtements aux tissus riches et vaporeux et aux coupes impeccables, les collections de Mélissa Nepton se retrouvent dans un nombre grandissant de boutiques (60 en 2012) », peut-on lire sur son site web.

Elle a de plus ouvert une boutique en ligne en 2012. Cela lui permet d’augmenter sa visibilité.

La collection signature de Mélissa Nepton est habituellement produite localement par une petite équipe de sept ou huit personnes. En collaborant avec Target, les créations de Mélissa ont été produites en Chine. Un compromis qui lui permet de se faire connaître auprès d’un public plus vaste en vendant des créations exclusives à un prix réduit.

Pour que d’autres jeunes designers, comme Mélissa Nepton, puissent réussir dans le domaine de la mode québécoise, il faudrait que les acteurs de l’industrie misent sur la collaboration.

Tous semblent d’accord sur ce point. Même le Rapport mode et vêtement, commandé par le gouvernement, voit un problème au manque de solidarité des acteurs du monde de la mode. « L’industrie demeure divisée : il y a beaucoup d’acteurs, mais peu de collaboration et de projets communs », mentionne le rapport. Michèle Beaudoin soutient ce point : « L’industrie ne travaille pas assez ensemble. On a besoin de collaboration entre les divers piliers de la mode ».

Le groupe de travail Mode qui a produit le rapport apporte des pistes de solutions dans leur document. Il propose notamment la création d’une grappe Mode qui permettrait de regrouper « une masse critique d’acteurs de l’industrie ». Le rapport précise les buts de ce regroupement. « Cette grappe sera aussi une plateforme d’échange et de partage des connaissances, de l’expertise et des succès de ses membres pour mieux faire face à la concurrence devenue mondiale. »

Parmi les autres recommandations, le rapport propose notamment d’appuyer le déploiement d’une stratégie de positionnement qui permettrait de rallier les joueurs de l’industrie autour d’une image moderne, propre au Québec. Il souhaite aussi revoir les événements mode existants en évaluant notamment la possibilité de les regrouper dans un événement collaboratif d’envergure mondiale.

Déjà, certains designers ont trouvé des pistes de solution pour se démarquer. La griffe montréalaise Atelier B. attire les gens à sa boutique en créant des événements culturels; La designer Sabrina Barilà a créé une seconde gamme de vêtements plus accessibles pour les jeunes femmes; Marie Saint Pierre, grande designer, délaisse les couteux défilés pour proposer des présentations privées de ses collections ou participer à des événements collectifs comme le Cabinet éphémère.

Les solutions sont là pour favoriser l’industrie de la mode et du vêtement au Québec. Les gens sont également motivés. Il ne reste plus qu’à espérer voir le changement se mettre en place pour faire face aux nombreux défis qu’apporte la mode.

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